Oracle et Broadcom : quand les anciens lions de la tech veulent encore rugir (dans l’IA)
Les jeunes pousses de la Silicon Valley n’ont qu’à bien se tenir : la semaine dernière , ce sont deux vétérans de l’industrie, Larry Ellison (Oracle) et Hock Tan (Broadcom), qui reviennent au centre du ring. Un siècle et demi d’existence à eux deux – ce qui, dans le numérique, équivaut à l’ère précambrienne – mais encore assez d’ambition pour vouloir croquer une part du futur marché de l’IA.
Les résultats trimestriels d’Oracle et de Broadcom attirent l’attention pour une raison simple : chacun est engagé dans une transformation aussi nécessaire qu’incertaine. Oracle mise sur l’explosion de son cloud orienté IA, tandis que Broadcom cherche à renforcer son rôle dans les processeurs d’inférence et l’infrastructure réseau destinée aux géants du machine learning.
Comme toujours dans l’IT : la promesse est immense, les risques encore plus.
Broadcom : un outsider qui veut exister dans l’ombre d’un géant nommé Nvidia
Si Broadcom se présente volontiers comme un pilier de la chaîne technologique, la partie IA de son activité reste en construction. Certes, les chiffres semblent encourageants : plus de 60 % de croissance sur les neuf premiers mois de l’exercice fiscal 2025, et une projection frôlant les 19,9 milliards de dollars de revenus IA sur l’ensemble de l’année. Une performance remarquable… jusqu’au moment où l’on compare à Nvidia et ses 57 milliards uniquement sur le troisième trimestre.
Autrement dit, Broadcom ne rattrapera probablement jamais Nvidia. Ce n’est pas une critique : personne ne le fera. Mais l’entreprise a l’avantage stratégique de miser sur des clients hyperscalers comme Google, dont les investissements dans des puces spécialisées explosent.
Hock Tan n’a d’ailleurs pas hésité à affirmer que le marché IA qu’il vise – puces, interconnexions, plateformes réseau – pourrait atteindre entre 60 et 90 milliards de dollars d’ici 2027. Une projection optimiste, mais qui traduit une dynamique réelle : l’infrastructure IA ne fait que commencer à se consolider. Pour les DSI, cela signifie que les architectures réseaux devront absorber dans les deux ans une densité et une vitesse d’évolution sans précédent.
Reste que l’IA ne représente encore qu’un tiers du chiffre d’affaires de Broadcom. Le reste est consolidé et mature, ce qui limite le risque… et l’excitation des marchés. La croissance attendue de 24 % sur le prochain trimestre traduit cette dualité : solide, mais pas spectaculaire.
Oracle : un cloud encore léger, mais des ambitions stratosphériques
Oracle, de son côté, avance sur un terrain encore plus sensible : le cloud orienté IA. À peine 3 milliards de dollars de revenus trimestriels, soit une portion modeste comparée aux ténors AWS et Azure. Pourtant, la croissance est impressionnante : plus de 50 % ces derniers trimestres.
La véritable onde de choc est venue en septembre, lorsque Larry Ellison a annoncé que les contrats déjà signés garantiraient 144 milliards de revenus cloud d’ici 2030. Une promesse qui a fait bondir le titre… avant que le marché se demande comment financer l’infrastructure nécessaire pour tenir un tel engagement.
Car le défi est immense :
- Oracle doit construire, équiper et alimenter des data centers à un rythme jamais vu dans son histoire.
- Des clients comme OpenAI doivent, eux, réussir à lever les montagnes de capitaux nécessaires pour honorer leurs commandes.
- Les investisseurs, eux, observent un titre qui perd du terrain depuis la rentrée, refroidis par l’incertitude financière.
Pour le trimestre qui arrive, les analystes attendent +14,8 % de croissance du chiffre d’affaires. Respectable, supérieur aux précédents trimestres… mais encore loin de la trajectoire théorique annoncée par Ellison. Les marchés attendent surtout un indicateur clé : Oracle parviendra-t-il à boucler le financement de ses futurs data centers, condition sine qua non pour espérer tenir ses promesses 2030 ?
L’ombre du divertissement : Ellison entre data centers et bataille pour Warner
Comme si l’avenir du cloud Oracle ne suffisait pas, Larry Ellison doit gérer une seconde tempête : la bataille pour Warner Bros. Discovery. Netflix a pris l’avantage en fin de semaine dernière, devançant Paramount (contrôlé par les Ellison) dans la course au rachat.
Mais rien n’est joué. Le futur gouvernement Trump pourrait bloquer l’acquisition par Netflix pour raisons antitrust… une opportunité indirecte pour Paramount, qui bénéficierait d’un climat réglementaire plus favorable. Une ironie récurrente dans le secteur : la stratégie cloud d’Oracle dépend du financement public et privé, tandis que sa stratégie média dépend de la géopolitique.
Paramount envisagerait désormais d’approcher directement les actionnaires de WBD. Ceux-ci n’ont aucun intérêt à revivre la saga juridique de 2016-2018, lorsque le rachat par AT&T avait été retardé de deux ans. Le contexte pourrait donc jouer en faveur des Ellison.
Que retenir de cette bataille de géants vieillissants ?
- L’infrastructure IA devient le nouveau terrain de différenciation : Broadcom veut sécuriser sa place dans le hardware, Oracle dans le cloud. Pour les entreprises, cela signifie des offres plus diversifiées, mais aussi une fragmentation accrue des standards.
- Le financement des data centers devient le nouveau goulet d’étranglement : aucune intelligence artificielle ne peut s’émanciper sans capacités massives. Le coût énergétique et capitalistique va redéfinir la stratégie des fournisseurs… et des clients.
- Les promesses 2030 doivent être prises avec scepticisme : les transformations nécessaires sont colossales, à la fois techniques et économiques.
- Les acteurs historiques ne lâchent rien : même vieillissants, Oracle et Broadcom restent capables de remodeler le marché — à condition de rester pertinents technologiquement.