Quand Trump veut enterrer la régulation de l’IA… (quelle surprise)
Alors que les débats sur la régulation de l’intelligence artificielle (IA) aux États-Unis restent embryonnaires à l’échelle fédérale, Donald Trump, entend museler les initiatives locales. Un projet d’ordre exécutif intitulé “Eliminating State Law Obstruction of National AI Policy” promet une offensive juridique et budgétaire contre les États qui osent légiférer sur l’IA.
Un objectif affiché : liquider les lois d’État sur l’IA
Le document ordonnerait au procureur général de créer une AI Litigation Task Force, avec pour mission exclusive de contester en justice les lois étatiques sur l’IA. Les motifs invoqués ? Atteinte au commerce interétatique, préemption par les normes fédérales, et inconstitutionnalité présumée. Traduction : toute tentative locale de cadrer les usages de l’IA, notamment dans la transparence ou la modification de ses réponses, serait considérée comme une nuisance.
Les lois californienne et coloradienne sont explicitement visées. Il faut dire qu’elles imposent aux fournisseurs de modèles d’IA des obligations en matière de transparence, d’explicabilité ou de responsabilité algorithmique. Le projet d’ordre considère ces exigences comme contraires au premier amendement, rien de moins. Sur un modèle que l’on croirait européen…
Pressions budgétaires : le chantage à la fibre
Mais Trump ne se contente pas du levier juridique. Il entend frapper là où cela fait mal : au portefeuille. L’exécutif projette de priver de financements fédéraux les États qui persistent à vouloir encadrer l’IA. En ligne de mire, le programme BEAD (Broadband Equity, Access and Deployment), doté de 42 milliards de dollars. Initialement conçu pour lutter contre les déserts numériques, il deviendrait un instrument de coercition politique. Car oui on l’oublie souvent mais l’accès à la fibre est assez disparate aux USA, bien mois développé qu’en France (et bien plus cher pour les particuliers)…
Concrètement, le projet stipule que les États disposant de lois “contraires” à la politique fédérale ne pourraient recevoir que la moitié des fonds. L’autre moitié serait distribuée à des conditions strictes, voire gelée ou redirigée vers d’autres usages.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle idée émerge. Le sénateur Ted Cruz avait déjà tenté de conditionner les subventions à l’absence de lois sur l’IA. Sa proposition fut largement rejetée au Sénat (99-1), y compris par lui-même. Trump, fidèle à son style, ressuscite l’idée, version exécutive cette fois.
Une stratégie aux ramifications profondes
L’ordre exécutif ne s’arrête pas au programme BEAD. Il propose que toutes les agences fédérales réévaluent leurs programmes de subventions discrétionnaires. Objectif : vérifier s’il est légalement possible de les conditionner à l’absence de lois étatiques sur l’IA. Ce serait un précédent majeur, étendant la préemption fédérale à une multitude de champs : santé, transports, cybersécurité, éducation.
Le texte prévoit aussi des actions concrètes de la FCC et de la FTC, chacune chargée de publier des normes ou déclarations qui rendraient caduques certaines lois étatiques, en invoquant des conflits avec les principes de libre commerce ou d’interdiction de pratiques trompeuses.
En somme, Trump propose une verticalisation totale de la gouvernance de l’IA, en marginalisant les initiatives locales. La diversité réglementaire, pourtant inhérente au fédéralisme américain, est perçue comme une menace à l’unité stratégique dans la course à l’IA.
Uniformité fédérale : ambition stratégique ou dérive autoritaire ?
Derrière ce vernis de rationalisation réglementaire se cache une logique plus idéologique que technique. L’argument phare : les régulations étatiques ralentiraient l’innovation, créeraient de la friction pour les développeurs, et offriraient un boulevard à la Chine. Trump n’hésite d’ailleurs pas à dégainer sa carte préférée : “Les États tentent d’imposer l’idéologie DEI [diversité, équité, inclusion] dans les modèles d’IA”, écrit-il sur Truth Social. À ses yeux, seule une norme fédérale unique, “patriotique”, permettrait à l’Amérique de rester en tête dans la course mondiale à l’IA.
Mais cette lecture ignore la complexité du paysage technologique : les cas d’usage de l’IA sont profondément locaux (santé, éducation, transports), et l’adaptation des régulations aux contextes territoriaux reste essentielle. Les voix démocrates, comme celles des sénateurs Maria Cantwell ou Jack Reed, insistent sur la nécessité de laisser les États expérimenter, faute de cadre fédéral robuste.
Vers un nouveau conflit de compétence ?
Si cet ordre exécutif voit le jour (et résiste aux contestations judiciaires), il pourrait transformer la régulation de l’IA en terrain de guerre constitutionnelle. Commerce interétatique, liberté d’expression, fédéralisme : autant de concepts juridiques qui seront convoqués dans les prochaines batailles.
Pour les DSI, et responsables conformité, cette évolution représente un point d’attention majeur. Elle pourrait simplifier les normes applicables aux USA, et donc demain chez nous si l’Europe s’en voit contrainte comme ces derniers temps sur l’IA Act EU, et au prix d’une fragilisation des garde-fous éthiques. Par ailleurs, l’instabilité chronique des politiques américaines en matière d’IA complique toute projection stratégique à long terme, surtout pour les entreprises européennes …