IA : bulle ou pas bulle ?

À écouter Jensen Huang, CEO de Nvidia, la question d’une bulle de l’IA n’a tout simplement pas lieu d’être. Lors de la présentation des résultats trimestriels de l’entreprise hier soir, il a balayé d’un revers de manche toute inquiétude : selon lui, l’intelligence artificielle n’est pas une bulle spéculative, mais une transformation industrielle profonde et durable. Soit. Mais si Nvidia n’est pas dans une bulle, elle évolue tout de même dans un écosystème largement gonflé aux stéroïdes… financiers 🙂

A ce propos, nous le rappelons souvent quand nous entendons certaines personnes qui en viennent à espérer une « bulle de l’IA » qui va éclater, tant les IA leur font peur :
Si bulle il y a, elle est financière pas technologique. La « bulle internet » du début des années 2000 a certes éclatée, mais pas les usages d’internet qui ont eux explosé :). Il en sera de même pour l’IA à coup sûr.

Résultats stratosphériques et dépendance structurelle

Nvidia a annoncé un chiffre d’affaires de 57 milliards de dollars sur le trimestre clos en octobre, en hausse de 62 %. C’est 10 fois plus que sur le même trimestre il y a trois ans. Mieux encore : si l’on exclut le marché chinois (plombé par les restrictions à l’exportation imposées par Washington), les ventes ont doublé dans toutes les autres régions du globe. Un exploit, incontestablement. Un exploit qui mérite cependant d’être mis en contexte.

Derrière cette hypercroissance se cache une dépendance presque caricaturale à un nombre restreint d’acteurs : Meta, Google, Amazon, Microsoft. Ces géants continuent de creuser leur « capex IA » comme on fore un puits sans fond. Et Nvidia, bras armé de cette ruée vers l’IA, récupère l’essentiel de la mise grâce à ses GPU H100, architecture Hopper et successeurs.

Une planche à billets bien huilée

Il est néanmoins difficile de ne pas tiquer sur certaines pratiques. Nvidia investit massivement dans des startups qui, en retour, s’engagent à acheter ses puces. Dernier exemple en date : Anthropic, qui formait jusqu’ici ses modèles sur les infrastructures d’Amazon (Trainium) et Google (TPU), mais qui bascule désormais sur Nvidia. La logique est implacable : Nvidia « utilise du cash pour financer sa croissance », dixit Jensen Huang.

Autrement dit, l’entreprise finance ses clients pour qu’ils achètent… ses produits. D’un point de vue purement comptable, cela dope les ventes à court terme. D’un point de vue stratégique, cela revient à maquiller la demande organique, voire à fragiliser l’écosystème si les startups subventionnées ne survivent pas à leur burn-rate. En finance, on appelle ça du vendor financing ; dans l’industrie IT, cela commence à ressembler à une boucle de rétroaction bien optimisée — mais instable.

La concurrence monte doucement, mais sûrement

Sur le plan concurrentiel, Nvidia reste l’incontestable leader du marché des puces IA, mais les signaux faibles s’accumulent. Google affine sa stratégie avec ses TPU, et AMD, bien que très loin derrière, gagne du terrain dans certains cas d’usage spécifiques grâce à sa plateforme MI300X.

Jensen Huang, fidèle à son style flamboyant, n’a pas manqué d’ironiser sur la concurrence : selon lui, la supériorité technologique de Nvidia est telle que ses clients ne peuvent tout simplement pas aller ailleurs. En clair : Nvidia n’est pas seulement en position dominante, elle serait technologiquement incontournable. Ce discours est séduisant, mais il oublie les enseignements du passé : le monopole engendre presque toujours sa propre contestation (nous en savons quelmque chose avec Microsoft…)

Un avenir à 500 milliards… ou une dépendance de 4 clients ?

La projection annoncée par la CFO Colette Kress a de quoi faire tourner les têtes : 500 milliards de dollars de chiffre d’affaires attendus entre janvier 2025 et décembre 2026. Un chiffre presque irréel comparé aux 130 milliards générés sur les douze mois précédents.

Mais cette trajectoire dépend d’hypothèses fortes : que la demande d’IA continue de croître à un rythme soutenu, que les GAFAM ne réduisent pas leur capex, que les puces Nvidia restent technologiquement dominantes… et que personne, surtout, ne décide d’ouvrir réellement le marché. Autant de conditions nécessaires, mais pas forcément suffisantes.

Conclusion : Nvidia imprime l’avenir… pour l’instant

Le parallèle avec la planche à billets américaine n’est pas si absurde. Nvidia, en contrôlant la chaîne de valeur des accélérateurs IA, s’offre une position de quasi-souveraineté dans l’économie technologique actuelle. Mais à force d’injecter du cash dans ses propres circuits, la firme pourrait aussi créer une illusion de demande soutenue, susceptible d’exploser si les fondamentaux venaient à vaciller.

Reste que pour l’instant, Nvidia ne vend pas du rêve : elle vend du silicium 🙂

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