L’IA rallume les réacteurs — Microsoft et Google redécouvrent l’atome pour sauver leurs data centers
Alors que l’on croyait le nucléaire condamné aux débats politiques et aux documentaires anxiogènes, le voilà propulsé au cœur de la stratégie énergétique des géants du cloud. Les data centers, ces monstres de silicium qui font tourner nos IA génératives et nos clouds hyperscalés, dévorent des mégawatts à un rythme que les parcs solaires et éoliens peinent à suivre. Pour Microsoft et Google, nous vous en avons déjà parlé, le constat est sans appel : impossible de continuer à nourrir cette faim énergétique sans recourir à une source dense, stable et bas carbone.
Microsoft, pionnier de l’atome version cloud
C’est en 2023 que Microsoft a surpris son monde en annonçant un partenariat avec Constellation Energy pour relancer le réacteur n°1 de Three Mile Island (TMI-1), tristement célèbre pour l’accident de 1979 qui avait concerné son voisin, le réacteur TMI-2. La centrale, d’une puissance de 819 MWe, devrait de nouveau alimenter le réseau d’ici 2028, cette fois pour soutenir les charges massives des infrastructures d’intelligence artificielle.
Ironie du sort : ce site, jadis symbole de la peur du nucléaire, deviendra bientôt celui de la sobriété énergétique numérique. TMI-1, mis à l’arrêt en 2019 pour des raisons économiques, a été soigneusement entretenu jusqu’à sa fermeture. Le délai de redémarrage – moins d’une décennie – permet d’éviter une rénovation lourde. Autrement dit, un redémarrage à coûts maîtrisés et à empreinte carbone minimale : un argument imparable pour les directions techniques obsédées par la neutralité carbone 2030.
Google emboîte le pas avec Duane Arnold
Ne voulant pas rester spectateur, Google a annoncé à son tour un partenariat avec NextEra Energy pour réactiver la centrale nucléaire de Duane Arnold, dans l’Iowa. Puissance : 615 MWe. Âge du réacteur : 50 ans. Durée du contrat : 25 ans. Objectif : alimenter durablement les data centers du Midwest.
L’entreprise a tranché après étude de toutes les options : aucune autre source d’énergie n’était capable de délivrer autant de puissance, aussi vite et avec une empreinte carbone aussi faible. Pour un géant du cloud en quête de stabilité énergétique, les atomes d’uranium valent donc mieux que les molécules d’hydrogène encore en phase pilote.
Une stratégie rationnelle… mais pas infinie
Ce regain d’intérêt pour le nucléaire existant répond à une logique simple : réutiliser plutôt que reconstruire.
Redémarrer un réacteur récemment arrêté permet d’économiser des années de travaux, des milliards de dollars et des tonnes de CO₂. Mais cette stratégie a une limite physique : les États-Unis ne comptent qu’une poignée de réacteurs récents et arrêtés depuis moins de dix ans. Sur huit éligibles, trois sont déjà réservés (TMI-1, Duane Arnold, et Palisades, ce dernier relancé par l’État du Michigan lui-même). Autrement dit : après cette première vague, les géants de la tech devront chercher d’autres solutions.
Certaines pistes émergent déjà : micro-réacteurs modulaires (SMR), petits réacteurs de recherche reconvertis, voire contrats directs avec les opérateurs nucléaires pour mutualiser les capacités. Nous vous en parlions lors du dernier CES où nous avions rencontrés des startups de ce domaine. Les plus visionnaires envisagent même des data centers installés directement à proximité des centrales — une symbiose énergétique façon XXIe siècle.
Une convergence entre l’atome et le cloud
Derrière ces choix, se cache un changement de paradigme profond. L’énergie n’est plus une simple ligne budgétaire dans les data centers : elle devient un facteur stratégique d’innovation.
En s’appuyant sur le nucléaire, les acteurs du numérique assument une vérité technique que beaucoup préféraient ignorer : les infrastructures de calcul massif ne peuvent pas reposer uniquement sur des énergies intermittentes.
Ironie ou lucidité, ces décisions marquent la rencontre de deux mondes que tout opposait : la rigidité réglementaire du nucléaire et l’agilité du cloud computing. Microsoft et Google redonnent ainsi un second souffle à des installations conçues dans les années 70 — preuve que, parfois, la meilleure innovation consiste simplement à rebrancher le passé.
Conclusion : le futur du cloud est radioactif (mais vert)
Dans la quête effrénée de puissance de calcul et de neutralité carbone, le nucléaire s’impose comme un compromis inattendu mais cohérent. Tant que les SMR et autres solutions de fusion n’auront pas quitté les laboratoires, les vieux réacteurs américains joueront les prolongations.
Le cloud du futur tournera peut-être sur des serveurs refroidis par l’eau d’un circuit nucléaire. Et si cela choque encore certains, rappelons que, pour une fois, l’énergie atomique sert à entraîner des modèles plutôt qu’à les désintégrer.