Quand OpenAI joue à l’entreprise (presque) normale
L’intelligence artificielle n’en finit plus d’occuper les manchettes, et cette fois, c’est OpenAI qui reprend la lumière. L’entreprise, longtemps perçue comme un ovni organisationnel entre fondation philanthropique et start-up démiurgique, vient de finaliser sa restructuration. Objectif : devenir une entreprise « presque normale », comprenez une société commerciale apte à entrer en Bourse — un jour.
Un jour, peut-être… si la justice et Elon Musk le permettent.
Une mutation structurelle sous tension
Cette transformation marque une étape stratégique dans la trajectoire d’OpenAI. Née comme une organisation à but non lucratif censée « assurer que l’IA bénéficie à l’humanité », la firme dirigée par Sam Altman a depuis longtemps délaissé le romantisme de la recherche ouverte pour les réalités économiques du calcul distribué et des GPU à prix d’or.
Le modèle hybride – une société contrôlée par un conseil d’administration à but non lucratif – reste un cas d’école de gouvernance atypique. Car, malgré son statut quasi-capitaliste, le vrai pouvoir réside encore dans ce conseil, une structure qui pourrait un jour devenir le théâtre de luttes d’influence aussi discrètes que décisives.
Le procureur général de Californie a d’ailleurs validé la restructuration tout en précisant qu’elle ne modifiait en rien les contentieux en cours. Notamment celui intenté par Elon Musk, qui conteste la trajectoire d’une entité qu’il avait cofondée pour contrer… des dérives commerciales de l’IA. Ironie du sort.
Les milliards, le silicium et les ambitions
Pendant ce temps, Nvidia célébrait son propre triomphe à Washington lors du GTC, où Jensen Huang a révélé des carnets de commandes pleins jusqu’à fin 2026. De nouveaux partenariats, notamment avec Uber et plusieurs constructeurs automobiles, confirment que les GPU de la firme sont devenus le pétrole de la nouvelle ère numérique — celui des véhicules autonomes et des datacenters cognitifs.
Difficile d’imaginer qu’Elon Musk, lui-même obsédé par la robotisation de la mobilité, reste indifférent à ces annonces.
Quant à OpenAI, Altman a levé le voile sur des engagements d’infrastructure vertigineux : 1 400 milliards de dollars de capacité de calcul préachetée pour les prochaines années. « Et nous espérons en faire beaucoup plus », a-t-il ajouté, le sourire tranquille de celui qui sait que Microsoft a mis la main à la pâte (et au portefeuille).
Un pari colossal, qui pourrait faire d’OpenAI une entreprise valorisée à plusieurs milliers de milliards de dollars — et rendre le chèque initial de 13 milliards de Microsoft presque anecdotique face à une valorisation virtuelle de 135 milliards aujourd’hui.
Le paradoxe Altman : philanthrope industriel
Ce que cette restructuration consacre, c’est la volonté d’Altman de transformer OpenAI en un conglomérat verticalement intégré de l’intelligence artificielle.
Des modèles de langage jusqu’au silicium, des API aux agents autonomes, tout est conçu pour internaliser la chaîne de valeur et contrôler l’expérience utilisateur. Une ambition technologique qui ferait pâlir les architectes de l’informatique distribuée, mais qui interroge aussi : que reste-t-il du projet initial d’IA éthique et accessible ?
Et surtout, qui contrôle réellement cette méta-entreprise dont le cerveau reste théoriquement… un conseil sans but lucratif ?
Le show Altman-Pachocki : la transparence en direct
Pour calmer le jeu et désamorcer la critique, Sam Altman a organisé une session publique en direct avec Jakub Pachocki, directeur scientifique d’OpenAI. L’exercice, à mi-chemin entre un meeting technologique et une séance de psychothérapie collective, a offert un moment de fraîcheur dans la communication habituellement calibrée des géants du numérique.
Les internautes ont posé des questions parfois déroutantes – comme celle d’un participant qui a demandé si OpenAI risquait de finir comme Ask Jeeves, le moteur de recherche tombé dans l’oubli. Altman, pince-sans-rire, a répondu : « On l’espère bien que non ! »
Pendant ce temps, Pachocki, dans un style plus contemplatif, fixait l’horizon comme s’il cherchait la réponse dans le latent space de GPT-5.
Cette session a eu le mérite de rappeler que la communication d’entreprise n’a pas encore complètement chassé la spontanéité humaine. Et que malgré les milliards en jeu, OpenAI reste, au fond, une entreprise humaine qui expérimente — à grande échelle — les limites de sa propre création.
En guise de conclusion : entre capital et conscience
L’histoire d’OpenAI illustre parfaitement le dilemme de notre ère numérique : comment concilier la promesse d’une intelligence artificielle éthique avec les impératifs industriels d’une course à la domination technologique ?
Tant que cette gouvernance hybride subsistera, la question restera ouverte : OpenAI deviendra-t-elle une entreprise « normale », ou restera-t-elle le laboratoire permanent d’un capitalisme algorithmique sous contrôle moral ?
Une chose est sûre : la frontière entre innovation et contradiction n’a jamais été aussi fine — ni aussi rentable.