IA : Microsoft teste un modèle économique pour rémunérer les éditeurs de contenus
Depuis l’essor fulgurant de l’IA générative, la tension entre éditeurs de presse et laboratoires d’intelligence artificielle ressemble à une partie de Monopoly sans règle : chacun avance ses pions, mais personne ne s’accorde sur la valeur réelle des cases occupées. Microsoft tente aujourd’hui d’apporter un semblant d’ordre avec le lancement d’un pilote baptisé « Publisher Content Marketplace » (PCM). L’idée : rémunérer les éditeurs lorsque leurs contenus sont utilisés par des produits d’IA, à commencer par son assistant Copilot.
Présenté en catimini lors d’un Partner Summit à Monaco, le programme cible un cercle restreint d’éditeurs américains avant une extension progressive. Le message marketing est clair : « Vous méritez d’être payés sur la qualité de votre propriété intellectuelle ». Derrière la formule, Microsoft cherche surtout à éviter l’image du pillage généralisé de contenus qui colle actuellement à la peau du secteur.
Car le climat reste explosif. Entre actions en justice emblématiques (le procès du New York Times contre Microsoft et OpenAI pour exploitation illégale de millions d’articles) et mobilisation de plus de 200 médias américains réclamant une régulation fédérale, les acteurs de l’IA se retrouvent au banc des accusés. Les inquiétudes dépassent d’ailleurs la seule rémunération : les fameux « hallucinations » des modèles génératifs risquent d’entacher la réputation des éditeurs, en leur attribuant des contenus faux ou déformés.
Dans ce contexte, le PCM se distingue de la stratégie adoptée par OpenAI ou d’autres laboratoires, qui privilégient pour l’instant des accords bilatéraux ponctuels (comme celui conclu récemment avec le Washington Post). Microsoft, lui, tente de bâtir une véritable place de marché. Cela suppose une infrastructure technique capable de suivre, quantifier et tarifer l’usage de contenus dans les requêtes Copilot : une approche qui, si elle tient ses promesses, pourrait donner naissance à un écosystème de licences « à la demande ».
Reste que la complexité technique et contractuelle ne fait que commencer. Qui décide du prix unitaire d’un paragraphe cité par l’IA ? Comment éviter le double paiement lorsqu’un contenu est repris dans plusieurs sources déjà indexées ? Comment gérer la transparence des logs d’utilisation, sachant que l’entraînement d’un modèle ne laisse pas de trace simple et exploitable ? Autant de questions qui rappellent les débats des débuts du streaming musical, avant la mise en place d’un système de royalties automatisées.
En parallèle, d’autres acteurs comme Cloudflare explorent une solution radicalement différente : taxer l’accès plutôt que l’usage. Leur projet remet au goût du jour le code HTTP 402 « Payment Required », jusque-là relégué aux oubliettes du RFC, afin d’imposer aux bots d’IA des microtransactions lorsqu’ils viennent crawler un site. Une logique plus technique, mais aussi plus pragmatique pour les éditeurs qui préfèrent contrôler le robinet d’accès plutôt que négocier après coup.
En somme, Microsoft joue une carte politique autant qu’économique. Le Publisher Content Marketplace est une tentative d’apaisement face à une industrie prête à dégainer ses avocats et ses lobbyistes. Mais derrière la belle promesse d’un partage de valeur, la vraie question demeure : l’IA peut-elle consommer massivement du contenu humain sans se heurter à la logique… humaine du droit d’auteur ? Réponse dans les prochains mois, quand les premiers éditeurs conviés décideront de passer — ou non — à la caisse.