Anthropic réveille le vieux rêve des DSI : coder leurs propres apps avec l’IA (pour de vrai ?)

Il fut un temps, pas si lointain, où les DSI voyaient dans les outils de génération de code une échappatoire à leur dépendance chronique aux mastodontes du SaaS. En 2023 et 2024, GitHub Copilot, ChatGPT et consorts avaient suscité une euphorie quasi mystique : et si l’IA permettait enfin de reconstruire son propre Salesforce ou Slack maison ? Las, la réalité s’est vite rappelée à eux. L’IA savait suggérer des fonctions, pas orchestrer des architectures ; elle écrivait du code, certes, mais rarement celui qu’on pouvait livrer en production sans trembler.

Deux ans plus tard, Anthropic semble vouloir rallumer la flamme. Sholto Douglas, responsable du reinforcement learning chez Anthropic, a dévoilé un prototype édifiant : une application de messagerie collaborative bâtie par Claude, leur modèle d’IA, en quelques heures, sur le modèle de… Slack. L’idée ? Montrer que la génération de code à l’échelle d’une application métier complète n’est plus un fantasme de keynote, mais un cas d’usage plausible.

Le codage renforcé : quand une IA corrige une autre IA

Le cœur de la stratégie d’Anthropic repose sur un raffinement technologique discret mais fondamental : le reinforcement learning automatisé. Autrement dit, Claude apprend à coder en se faisant juger par une autre IA. Chaque fois qu’il résout un problème technique, un modèle compagnon évalue la qualité du résultat et lui renvoie un feedback immédiat. Ce cycle d’auto-évaluation en boucle fermée permet à Claude d’améliorer rapidement ses capacités de conception logicielle – non plus seulement en syntaxe, mais en structure et en logique applicative.

Et pour démontrer la maturité du système, Anthropic a frappé fort : l’IA a été utilisée pour reproduire l’application Claude elle-même, un véritable exercice de clonage logiciel. Une manière subtile de dire : « si nous pouvons recréer notre propre produit, pourquoi pas le vôtre ? »

Le retour du mythe de l’entreprise “post-SaaS”

Évidemment, Anthropic n’est pas seul à flairer le filon. Elon Musk, jamais en reste d’un coup d’éclat marketing, a annoncé cet été que sa société xAI ambitionnait de “simuler entièrement” les logiciels d’entreprise, y compris ceux de Microsoft. Nom de code du projet : Macrohard. Sous le vernis humoristique, une promesse sérieuse : des agents IA capables de remplacer des suites logicielles entières.

Mais pour beaucoup de dirigeants IT, la prudence reste de mise. Comme le rappelle Keith Strier (AMD, ex-Nvidia et EY), imaginer qu’un conglomérat de 50 milliards de dollars abandonne SAP ou ServiceNow du jour au lendemain relève du délire de startuper sous caféine. Les coûts de migration, la rééducation des utilisateurs et la gestion des données sont des freins aussi lourds que les ERP qu’ils voudraient remplacer.

En revanche, le “vibe coding” – cette approche où l’on construit des apps à partir d’intentions plutôt que de spécifications – pourrait bien séduire une autre catégorie d’acteurs : les startups à croissance rapide, qui valorisent la vélocité plus que la conformité. Des structures à “grande valorisation et petite masse salariale”, pour reprendre la formule de Strier, pour lesquelles une IA architecte et développeur tout-en-un pourrait devenir un multiplicateur d’efficacité.

Les agents plutôt que les clones

Certains, plus pragmatiques, voient une évolution différente. Kabir Nagrecha, fondateur de Tessera Labs, considère que le vrai levier d’automatisation ne viendra pas du remplacement des logiciels, mais de l’interface entre l’humain et ces logiciels. Plutôt que de réécrire Salesforce, pourquoi ne pas créer des agents capables d’y naviguer, d’y saisir ou d’en extraire l’information de façon autonome ?

C’est peut-être là que se trouve la frontière la plus réaliste : non pas une révolution du code, mais une mutation du workflow.

Conclusion : une révolution à deux vitesses ?

Anthropic trace la voie d’une IA de plus en plus compétente sur le plan technique, capable de concevoir des briques applicatives entières. Mais entre la démonstration brillante et le déploiement en entreprise, le fossé reste immense. Les DSI, échaudés par les mirages de 2024, garderont probablement leurs ERP un peu ternes mais solides, pendant que les jeunes pousses, elles, testeront les limites du vibe coding.

Peut-être que dans dix ans, nous parlerons du “Claude moment” comme d’un tournant historique du développement logiciel. Ou peut-être simplement comme d’un bel essai de plus dans la quête infinie du “No Code absolu”.

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