Tesla : Comment justifier le plan de rémunération de 23,7 milliards de dollars d’Elon Musk ?

Sous le vernis futuriste des voitures électriques et des promesses d’autonomie, Tesla semble discrètement redessiner sa mission. Fini le simple constructeur de véhicules propres : l’entreprise ambitionne désormais de devenir une puissance technologique centrée sur l’intelligence artificielle, la robotique et les services connexes. C’est du moins ce qu’affirme une récente lettre de deux administrateurs envoyée aux actionnaires. Le motif ? Justifier un plan de rémunération de 23,7 milliards de dollars pour Elon Musk, après que la justice du Delaware a annulé un précédent package jugé trop généreux.

Mais derrière cette stratégie de motivation salariale se cache une problématique bien plus épineuse : Elon Musk est aussi le patron de xAI, une entité résolument tournée vers l’IA pure, qui développe notamment le chatbot Grok. Et là où l’intelligence artificielle prolifère, la guerre des talents fait rage. Les deux entités – Tesla et xAI – se retrouvent alors en compétition directe pour les mêmes profils pointus, les mêmes experts en LLM, en vision par ordinateur, en robotique, ou en architecture de datacenters. Un jeu à somme (très) nulle, où Musk joue contre lui-même, mais avec l’argent des actionnaires de Tesla… Ambiance, ceci dit tant que ces derniers n’y trouvent rien à redire, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes Muskien.

Une fusion inévitable ?

Face à cette situation kafkaïenne, certains observateurs commencent à évoquer une issue qui paraît de plus en plus logique : fusionner Tesla et xAI. Ce serait, au moins, une manière d’aligner les intérêts, de mutualiser les talents, et d’éviter que Musk siphonne discrètement les cerveaux de Tesla pour nourrir xAI. Car rappelons-le : xAI ne génère actuellement aucun revenu, alors qu’elle doit rivaliser avec Microsoft, Google ou Amazon pour acquérir des GPU, construire des datacenters et entraîner des modèles linguistiques à grande échelle. Selon le Wall Street Journal, Musk a dû convaincre Valor Equity Partners de lever 12 milliards de dollars pour financer… des puces à louer à xAI. De la haute voltige financière.

De son côté, Tesla dispose d’un matelas confortable de 37 milliards de dollars en cash. Une fusion permettrait donc de puiser directement dans ce trésor pour alimenter les ambitions d’IA de Musk. Pour Tesla, cela pourrait aussi signifier un accès immédiat à une expertise IA plus poussée, utile à ses projets de conduite autonome, mais aussi à ses incursions dans la robotique humanoïde.

Le piège stratégique de l’alignement

Mais la fusion n’est pas sans risque. Elle imposerait à Tesla de porter à bout de bras une entité hautement déficitaire et encore incertaine sur son modèle économique. Les actionnaires pourraient légitimement craindre une hémorragie financière. Pis : l’ambition croissante de Musk de transformer Tesla en entreprise technologique pourrait, de toute façon, diluer la rentabilité issue du secteur automobile. xAI n’est donc peut-être qu’un catalyseur d’un mouvement plus large : la mue de Tesla en holding technologique, où les voitures ne sont qu’un produit parmi d’autres.

L’idée d’une fusion entre Tesla et xAI n’a rien d’abstrait. Musk a récemment laissé entendre que le conseil d’administration de Tesla pourrait voter une éventuelle prise de participation dans xAI. Et quand un analyste de Wedbush a suggéré qu’un relèvement de sa part de vote dans Tesla (à 25 % versus les 13% d’actions qu’il détient) permettrait de faciliter une fusion, Musk a répondu sèchement : « Shut up, Dan. » Charmant, mais révélateur.

Une gouvernance en porte-à-faux

Le problème de fond reste entier : Musk dirige deux entreprises aux intérêts partiellement concurrents, avec un seul cerveau – tourmenté – mais sans cloisonnement clair. Cela pose un vrai casse-tête de gouvernance pour Tesla, société cotée, dont les actionnaires publics attendent une stratégie lisible et un alignement clair des intérêts.

En l’état, toute avancée majeure dans l’IA pourrait être captée par xAI au détriment de Tesla, ou inversement, en fonction des priorités personnelles de Musk. Sans fusion, la séparation des pouvoirs devient presque théorique. Et avec fusion, le risque est de voir Tesla devenir un réservoir de cash pour financer une vision technologique risquée, sans garantie de retour.

Conclusion

Si Tesla veut réellement se positionner comme leader en IA et robotique, elle doit clarifier sa stratégie. Soit elle intègre xAI et en fait une composante assumée de son virage technologique. Soit elle maintient une stricte séparation des entités, avec une gouvernance robuste pour éviter les conflits d’intérêts.

Mais en laissant planer le flou, Musk expose Tesla à une zone grise stratégique, où les talents, les finances et les ambitions s’entremêlent dans une opacité préoccupante. Cela pose une question plus large : peut-on encore concevoir des plateformes IA cohérentes sans une gouvernance solide, même quand on s’appelle Elon Musk ?

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