Jusqu’où ira Nvidia ?
Le marché ne célèbre plus l’indépendance mais l’hégémonie. En ce jour de fête nationale américaine, l’action Nvidia clôturait à 159,34 dollars, valorisant le géant à 3 880 milliards de dollars. En comparaison, Meta et Alphabet réunis pèsent à peine plus. Oui, vous avez bien lu : le leader des GPU vaut presque autant que deux des piliers de l’Internet moderne. Une telle valorisation devrait susciter scepticisme, ironie ou au moins prudence. Pourtant, les marchés persistent à croire à la trajectoire exponentielle de Nvidia…
Blackwell à tous les étages : la puce qui excite Wall Street
Le moteur de cette ascension récente ? Un rapport de Morgan Stanley, publié lundi, qui fait état d’une demande « très forte » pour toutes les déclinaisons de Blackwell. Cette nouvelle architecture de puces IA, annoncée comme révolutionnaire, succède à Hopper et promet des performances multipliées par dix dans certains cas d’usage en IA générative.
Les centres de données, hyperscalers en tête, attendent ces puces comme le messie. Blackwell, grâce à ses variantes GB200 et B100, permettrait non seulement des gains de performance mais aussi des gains énergétiques notables, un argument de poids face à l’inflation énergétique actuelle.
Même Google, avec ses propres TPU, continue à acheter massivement chez Nvidia pour son offre cloud. Et si OpenAI a testé les TPUs de Google, elle s’est rapidement empressée de démentir toute volonté de les adopter à grande échelle. L’effet « panic PR » après un article du média The Information révèle bien où se trouve le pouvoir aujourd’hui.
Concurrence : quand vos clients veulent devenir vos rivaux
Nvidia est aujourd’hui dans une position étrange : ultra-dépendant de clients qui rêvent de son indépendance. Microsoft, Amazon, Google, Apple… Tous développent leurs propres puces. Mais aucun ne parvient à égaler Nvidia à l’échelle industrielle.
- Microsoft a réduit ses ambitions autour de sa puce IA maison, la « Maia », retardée à plusieurs reprises.
- Apple, de son côté, parvient à utiliser ses puces pour quelques fonctionnalités IA locales, mais n’a pas encore de prétention crédible dans le monde des LLM ou du cloud.
- Google, bien que pionnier avec ses TPU, dépend toujours de Nvidia pour les workloads clients dans GCP.
En somme, tous essaient, mais personne n’arrive. Nvidia est toujours seul au sommet du mont silicium.
La Chine, l’épée de Damoclès géopolitique
Petit accroc récent : la réglementation américaine, sous l’impulsion de l’administration Trump, continue à perturber les ventes de Nvidia vers la Chine. L’interdiction d’exporter certains modèles de puces performantes (dont les A100 et H100) a fait craindre une baisse durable de revenus dans cette région.
Mais la firme rebondit habilement. En annonçant des accords en Europe avec plusieurs laboratoires IA — peu connus du grand public mais très actifs dans la course à l’IA générative — Nvidia montre qu’elle compense une perte potentielle par une extension géographique de son influence. Et surtout, elle continue à vendre des versions « downgradées » à la Chine, parfaitement dans les clous réglementaires.
Une valorisation raisonnable ? Vraiment ?
Là où le bât blesse, c’est que malgré cette envolée stratosphérique, le titre Nvidia n’apparaît pas fondamentalement surévalué, au regard de ses pairs :
- Sur la base du chiffre d’affaires prévisionnel, Nvidia se paie moins cher que Broadcom.
- Sur la base du PER forward, elle est moins chère qu’AMD.
- Les marges nettes sont délirantes : autour de 57 % sur le dernier trimestre, soit deux fois mieux qu’Intel ou Qualcomm.
En somme, à défaut d’être raisonnable, la valorisation est cohérente… tant que le marché croit à une demande exponentielle en calcul IA. Mais combien de temps cela durera-t-il ? Est-ce une bulle rationnelle ou un cycle durable ?
Le seuil symbolique des 4 000 milliards
Nvidia n’est qu’à quelques dollars de passer le cap des 4 000 milliards de dollars de valorisation, seuil mythique jusqu’alors réservé à Apple et Microsoft. Si le cours atteint 164 dollars, ce sera chose faite.
Ce seuil n’est pas qu’un chiffre. C’est une validation : Nvidia ne fait plus que vendre des puces, elle devient le cœur battant d’une révolution industrielle mondiale – celle de l’intelligence artificielle. Mais attention : un cœur peut aussi s’emballer.