[Lettre Calipia] Peut-on encore se passer de Google ?

Ya bo Google

La question, j’en conviens, est un peu provocante.

Ya bo GoogleD’autant plus qu’elle semble sous-entendre un côté sombre à l’entreprise de Mountain View, qui nous conduirait à vouloir prendre de la distance. Hm hm, suspens…

Partons d’un constat : Google nous propose des services d’une très grande pertinence, à l’instar de son moteur de recherche, doublés d’une très grande richesse, à l’instar de YouTube. Ces services sont gratuits, tout comme son navigateur Chrome (pour ne citer que lui) ; Gmail, les Apps, Google +, Android, toute une galaxie de solutions et de produits nous est proposée à coût nul, ou minime (40€ par an par utilisateur pour l’offre entreprise).

Considérant l’adage que lorsque vous ne voyez pas le prix d’un service, c’est que c’est vous le produit vendu, il peut être intéressant de s’intéresser de très près à la stratégie de Google, afin de répondre en conscience : dois-je me passer des services de Google ? …et en trame : puis-je encore m’en passer ?!

Dans cet article, je vous propose de décortiquer cette stratégie globale de Google, qui comme vous allez le voir, est d’une justesse et d’une logique … imparable.

Ne vous êtes-vous jamais posé la question de la logique sous-tendue par des initiatives aussi dissemblables au premier abord que le Search, le projet de ballons atmosphériques Loon, l’investissement dans la compagnie de taxi Uber ?

Toutes ces initiatives participent en fait à un dessein stratégique d’une grande clarté, que nous allons maintenant évoquer.

A l’arrivée, c’est à vous qu’appartiendra la réponse à la question soulevée 🙂

La publicité, au cœur de métier de Google

Si vous doutez encore du cœur de métier de Google, il suffit de regarder les résultats de l’entreprise[1] :

  • En 2012, sur les 50 milliards de dollars de chiffre d’affaire, 94,9% était lié à la publicité ; on estime que la part du CA lié à l’offre entreprise est quant à elle de 1%.
  • La firme de Mountain View est par ailleurs en pleine santé, faisant état d’un bénéfice de 12 milliards de dollars en 2012, en croissance de 11% d’une année sur l’autre. Et en 2013, les 3 premiers trimestres lui ont déjà permis d’engranger 9,6 milliards de dollars (et 43 milliards de Chiffre d’affaire sur les 3 premiers trimestres 2013)

Toute la stratégie de l’entreprise se focalise bien entendu sur la croissance de ces résultats, sur le long terme.

Or il se trouve que sur le marché de la publicité, Google dispose encore d’une très belle marge de progression.

En effet, ces très beaux chiffres ne sont réalisés « que » sur une petite partie du gâteau de la publicité, comme le suggère cette étude Strategy analytics : le marché de la publicité en ligne, qui est le pré carré de Google, ne représente que 18% du marché global de la publicité au niveau mondial.

Le reste est le marché de la publicité off-line : la télévision, l’affichage papier, etc.

marché publicité

On peut comprendre que cette situation embête un peu Google, dont le domaine de compétence est l’Internet, et un savoir-faire sur le high-tech qui lui permet de faire la différence face à ses concurrents sur ce même marché.

Cette perspective globale va en fait nous permettre de mieux comprendre la pertinence de la stratégie de Google.

Concrètement, nous allons voir que l’entreprise s’appuie sur ses atouts concurrentiels – la technologie – pour développer une stratégie très pertinente jouant sur deux leviers :

  • Attaquer le marché « offline », soit en le transformant en marché on-line, soit ou en le rendant obsolète.
  • Sur le marché on-line, en améliorant sa pertinence face à ces concurrents : ici, une idée clé est à l’œuvre, à savoir mieux connaître les individus, leurs comportements, dans le but de proposer des publicités réellement ciblées, à l’efficacité toujours plus mesurable (le graal pour des annonceurs).

Détaillons successivement ces deux leviers.

1 – Attaquer le marché off-line

Google veut-il devenir le roi de l’affichage papier ? Non, bien entendu (à notre connaissance tout du moinsJ)

De façon beaucoup plus habile, l’entreprise décline une approche d’une grande logique :

  1. Accroître le temps passé par les individus sur Internet : pour se faire, Google participe activement à l’amélioration de la couverture Internet, préambule indispensable si l’on veut qu’une zone géographique puisse être couverte un jour par des canaux on-line, et pas uniquement par des canaux traditionnels. Nous verrons aussi que Google souhaite non seulement que les consommateurs soient couverts par Internet, mais qu’ils soient également disponibles pour Internet : rien de plus horripilant pour un publicitaire qu’un conducteur de voiture, concentré sur la conduite de son véhicule, et donc imperméable à toute publicité (tient, et si on faisait des voitures qui se conduisaient toutes seules ? le conducteur deviendrait alors réceptif !)
  2. Une fois la couverture Internet mise en place, il faut encourager de nouveaux usages afin de transformer certains pans fonctionnels inaccessibles autrement à la publicité online : on pense en particulier au monde de la télévision traditionnelle, que Google aimerait voir tomber dans le giron de YouTube (nous allons y revenir en détail).
  3. Mieux couvrir le périmètre des consommateurs ainsi en ligne, via plus de canaux. Google multiplie de fait ses canaux technologiques : android, Chrome OS, Chromecast, Google Play Music, etc. Et pour les canaux qu’il ne maîtrise pas directement, son système AdWords est à l’œuvre.

Reprenons en particulier les deux premiers points :

  • Accroître le temps passé par les individus sur Internet :

On le comprend aisément, l’amélioration de la couverture internet au niveau mondial est un préambule indispensable pour que tous les consommateurs soient un jour « touchables » par la publicité on-line ; pas question également qu’un consommateur soit tantôt couvert, tantôt hors couverture.

Le projet Loon de ballons atmosphériques de Google rempli typiquement cet objectif : donner un accès Internet aux pays les moins développés, ou les plus difficilement connectables ; il s’agit de mettre en place des réseaux de ballons volant au-dessus des lignes aériennes, vers 20 000 mètres d’altitude. Au sol, des antennes fixes communiquent avec le ballon le plus proche, le signal est ensuite acheminé de ballon en ballon jusqu’au nœud terrestre Internet le plus proche.

Cette initiative, présentée par Google sous des dehors philanthropiques, a d’ailleurs fait réagir Bill Gates en août dernier (Bloomberg) : « Quand vous avez la malaria, regarder en l’air et voir des ballons connectés n’est pas ce qui va vous aider à vous soigner. Un site internet ne va pas non plus donner un médicament à un enfant qui a la diarrhée ».

Les Google Free Zone, ses projets fibres optiques, son Public DNS, les Google Bus proposant un accès internet gratuit, tous ces projets s’inscrivent dans cette logique de rendre universel l’accès à Internet.

La disponibilité des individus est un corollaire fort à ce que nous venons d’évoquer : dans l’optique de cibler des publicités à ces individus nouvellement connectés, Google échouerait si le « consommateur » est occupé à autre chose qu’à surfer, ou à consommer des services Online. Les transports sont en particulier un sujet d’importance, du fait du temps passé par chacun dans ceux-ci :

    • Si vous êtes passager, faisons en sorte que vous ayez le nez sur votre Smartphone ou votre tablette plutôt que de regarder par la fenêtre ces stupides affichage papier : D’où les Google Bus, ou encore cet investissement de 250 millions de dollars dans la compagnie de taxi Uber. Ce service de taxis privés se différencie aujourd’hui par une utilisation astucieuse du Smartphone, via une application, permettant pour localiser le taxi le plus proche, puis de visualiser précisément son trajet, dans une optique de partage des trajets.
    • A plus long terme, la voiture sans chauffeur promise par Google (ou le taxi sans chauffeur),  permettra à toutes les personnes à bord d’être disponible pour Internet, y compris le chauffeur 🙂
  • Encourager de nouveaux usages afin de transformer certains scénarios  fonctionnels réservés jusqu’à lors au marché de la publicité off-line.

La télévision, qui représente aujourd’hui 40% environ du marché mondial de la publicité, est ici clairement en ligne de mire de Google : « Le remplacement de la TV par YouTube ? Il a déjà eu lieu » a même affirmé Eric Schmidt en mai 2013.

Il faut dire qu’avec 1 milliard de visiteurs uniques par mois, YouTube a de quoi attirer les annonceurs.

Le contenu de YouTube se professionnalise, avec la création continue de nombreuses chaines : récemment, c’est la FFF (Fédération Française de Football), ou encore Canal+, qui ont établi des partenariats avec Google pour la création de plusieurs dizaines de chaines.

De fait les usages changent : nos adolescents regardent moins la télévision traditionnelle, et consomment plus de « replay », de vidéos YouTube, et demandent de l’interactivité à tel point que l’on parle maintenant de Social TV.

Avec YouTube, Google peut promettre aux annonceurs un ciblage individuel des publicités, impossible à effectuer sur la télévision traditionnelle : fini l’époque des budgets pub pharaoniques pour « toucher » à l’aveugle une audience large de millions de téléspectateurs, Google peut maintenant effectuer un ciblage utilisateur par utilisateur, à moindre coût, en fonction de sa connaissance profonde de chaque individu.

Et si par malheur vous délaissez les tablettes au profit des « vieux téléviseurs », Google vous propose la ChromeCast, une petite clé HDMI à 35 $ transformant votre téléviseur en récepteur YouTube.

Il est clair que la montée en puissance de YouTube fragilise ainsi profondément le marché audiovisuel traditionnel, très dépendant des budgets publicitaires : si la manne commence à basculer dans le monde online, ou trouvera-t-il les fonds nécessaires au financement des contenus ? La chute peut alors s’accélérer très rapidement, à partir du moment où le shift dépassera un certain seuil.

2 –  Mieux connaitre les individus

Comme nous le disions en introduction, il s’agit du deuxième levier sur lequel Google va pouvoir agir, afin d’améliorer la pertinence de son ciblage publicitaire.

Mieux vous connaitre signifie deux choses :

  1. Vous suivre tout au long de la journée, afin de ne laisser dans l’ombre aucune information vous concernant.
  2. Corréler ces différentes informations.

Google doit donc être présent à vos côtés dans les transports, au travail, à la maison, pendant les loisirs, etc.

journee-google

Appréhender cette nécessité nous permet de mieux comprendre pourquoi l’entreprise de Mountain View fait tel ou tel investissement :
Le rachat de Waze est un bon exemple. Ce superbe service communautaire d’aide à la navigation routière, gratuit, a profité d’un modèle de diffusion viral : chaque wazer, authentifié, gagne des points lorsqu’il déclare un accident, un obstacle, etc. Les données de trafic sont par ailleurs remontées et échangées en temps-réel, ce qui en fait un service très pertinent dans les calculs d’itinéraires.
Pour Google, Waze représente un champ d’opportunité manifeste : enrichissement de Google maps par corrélation des informations, connaissance précise des trajets et de la localisation des individus, authentifiés, donc connus : très pratique pour remonter de la publicité géo-ciblée par exemple.

Parlons maintenant du domaine de l’entreprise : au risque de choquer certains de nos lecteurs, force est de constater que l’entreprise est – d’un point de vue stratégie globale Google – intéressante dans la mesure où elle représente un moment de la vie quotidienne des individus.

L’agrégation de toutes les informations collectées au long de la journée, y compris dans l’entreprise, permet à Google d’offrir des services à haute valeur ajoutée, pour l’utilisateur aussi bien que pour l’annonceur.

Un exemple marquant de cette valeur ajoutée est le service de search actuellement ouvert en béta aux USA : par corrélation des informations venant de Gmail, Google+, Picasa, etc. le search peut désormais répondre à des questions telles que « A quelle heure arrive mon avion ? » (NOTA : il faut évidemment que vous soyez authentifié).search-beta

Google Now est également un service directement issu de la corrélation de l’information : si vous laissez fonctionner cet assistant sur votre Smartphone jour après jour, il finira par exemple par reconnaitre votre trajet travail/domicile ; de sorte qu’un soir, en rentrant chez vous, vous ne serez pas étonné de l’entendre vous prévenir, avant même que vous ne le sollicitiez, que le trafic routier étant saturé, il vaut mieux prendre un autre chemin !

Comme l’indiquait Eric Schmidt en 2010 à un panel d’experts[1] « Si je regarde suffisamment votre messagerie et vos déplacements, et si j’utilise de l’intelligence artificielle, nous pouvons prédire où vous allez vous rendre ».

Mieux connaitre les utilisateurs, c’est donc capter toujours plus de données sur les individus. Cette nécessité permet aussi de comprendre pourquoi Google nous offre gratuitement toujours plus de services.

Tout est fait pour que vous passiez toujours plus de temps sur les services Google :

  • Via le navigateur (Chrome si possible): Search, Maps, Street, Google+, Picasa, etc.
  • Hors du navigateur : ici, Android est clé, dans la mesure où l’utilisateur est authentifié !

Efficacité des publicités : la perspective Google Glass

La technologie va même permettre à Google de dépasser l’une des faiblesses de fond de la publicité : comme vous le savez sans doute, les standards actuels d’appréciation d’une campagne publicitaire, à savoir le nombre d’impression, ou le taux de clic, ne mesure pas réellement son efficacité.

C’est là que les Google Glass rentrent en scène. Certes pas les premières versions, mais via celles qui implémenteront un jour l’un des brevets accordé à Google par l’USPTO (brevet 8 510 166) : ce brevet porte sur un système embarqué dans des lunettes, pouvant exploiter de l’information sur la dilatation de la pupille, corrélé à la réception d’images de la scène regardée.

publicité (en réalité réelle ou augmentée), pendant combien de temps, et quelle est en est votre réaction émotionnelle, du fait de la dilatation de votre pupille.Brevet Google

Ce brevet pourrait apporter à coup sûr une nouvelle mesure très efficace de l’impact d’une publicité, selon des critères comportementaux : c’est beau le progrès J

…et vous aurez des scrupules à vous débarrasser de vos lunettes, du fait de la pertinence des services offerts en réalité augmenté : navigation, informations, multimédia, etc.

Alors, peut-on se passer des services Google ?

A l’aune de ce que nous venons de dire, vous conviendrez qu’il peut être intéressant de se poser la question posée initialement J

Sous l’angle de la pure valeur ajouté des services, dire simplement « oui, je peux m’en passer » n’est réellement pas évident. La quantité, la qualité des informations collectées par Google, la pertinence apportée par leur corrélation confère des atouts indéniables à ses services.

Essayons-nous d’ailleurs à un petit exercice : prenons un par un chacun des principaux services de Google, et évaluons quelles en sont les principales alternatives, et leurs crédibilité par rapport à Google (de ++ si l’alternative est tout à fait crédible, à = si elle est équivalente, à – – si elle ne fait pas le poids)

comparaison-services-Google

A ce petit jeu, nous identifions plusieurs services difficilement remplaçables : le search, YouTube, les services de cartographie (Maps, streetview, Waze).

Mais au risque de paraître déplaisant, la vrai question me semble être non pas « peut-on se passer des services de Google ? », mais bien « peut-on se passer de Google ? »

Et là, il faut regarder l’évidence : du fait de sa force de frappe, de l’efficacité de sa stratégie, il va devenir de plus en plus difficile de se passer de Google dans notre quotidien.

En nous connaissant toujours plus en détail, en corrélant de plus en plus d’informations, les services fournis gratuitement par la firme de Mountain View sont appelés à devenir toujours plus pertinents dans notre quotidien ; cette pertinence créé une dépendance, qui sera de plus en plus difficile à renier du fait de la place grandissante du numérique dans la vie réelle.

Cette dépendance a un coût : notre identité numérique, enregistrée durablement, partagée sur internet, et monétisée par Google dans le but de nous faire participer à la joyeuse sarabande du consumérisme effréné !

Les frontières de notre vie privée s’estompent… mais bon ce n’est pas grave, si l’on en croit les déclarations d’Eric Schmidt, ou encore celle – récente – de Vint Cerf, chef évangéliste chez Google : « La vie privée peut être considérée comme une anomalie ».

Bonne réflexion.

Eric Mijonnet – Directeur Associé



[1] Source : Google Corp – mai 2013 : http://investor.google.com/financial/tables.html

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