Archives des étiquettes : éducation

Les Chromebooks de Google devant l’iPad sur le secteur de l’éducation aux USA

Si les Chromebooks décollent (très) doucement sur le continent européen, ils continuent à progresser fortement aux USA, en particulier dans le secteur de l’éducation. Selon IDC 715 500 Chromebooks se seraient vendus au troisième trimestre versus 702 000 iPad.

Si la prix n’y est pas pour rien (moins de 200 $ la bête, pour quasiment le double pour un ipad 10 pouces d’entrée de gamme), l’écosystème applicatif grossi de plus en plus sur la plateforme de Google. Autrefois limité aux seules applications Google, de nombreux logiciels sont portés sur la plateforme de Google, et lorsque la plateforme à la puissance limitée, ne le permet pas, les éditeurs répartissent le traitement avec les serveurs. C’est par exemple le cas d’Adobe qui annonce un Photoshop pour Chromebook qui réalisera une partie des traitements dans le Cloud.

Reste le problème de la connexion quasi permanente qu’il faut avec ce type de machine, la démocratisation du Wifi sans le secteur éducatif aux USA évite la question.

Prochaine étape : les entreprises ? pourquoi pas ? il faudra surveiller de près , là encore ce qui se passe aux USA dans se domaine, ou le positionnement de Google avec ses machines est très timide pour ne pas dire plus. Il est vrai que la nouvelle politique de prix de Windows et des « PC low cost » coupe l’herbe sous les pieds du géant de Mountain View actuellement. Pour combien de temps encore ?

[Lettre Calipia] Le « code à l’école », une chance pour la France ?

lemaire-enfants-apprennent-84730673J’ai la chance, par le biais de cette Lettre Calipia, de pouvoir exprimer parfois quelques réactions épidermiques liées à des annonces relatives à l’actualité informatique. Et ce avec la plus insupportable mauvaise foi, mais en tentant de creuser un peu le sujet, ce qui me permet de repousser un peu le moment ou je serai obligé d’expliquer à un psy l’aspect ontologiquement schizophrénique de mon activité de veille technologique.

Donc après avoir égratigné quelques tendances de l’industrie informatique (les tablettes, le Green Computing, l’obsolescence programmée, etc.), je vous propose de revenir sur un sujet plus sociétal, qui porte globalement sur la compréhension par les politiques des impacts liés au développement des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) sur la vie réelle des gens.

Le prétexte de ce billet, ce sont évidemment les nombreuses déclarations de l’ex-ministre de l’éducation Nationale Benoit Hamon en mai relayées par la toujours secrétaire d’état en charge du numérique Axelle Lemaire (rattachée au ministre de l’Économie et du redressement productif, qui était à l’époque Arnaud Montebourg), sur les deux éléments semble-t-il principaux de la future loi sur le numérique, l’enseignement du « code » à l’école avec comme « corollaire » le haut débit pour toutes les écoles.

Evacuons rapidement le « haut débit », qui est un serpent de mer apparaissant (avec le Logiciel Libre) de façon récurrente dans toutes les communications politiques concernant les TIC depuis plus de 10 ans, en étant par exemple cité comme une priorité dans les programmes de 8 candidats sur 13 à l’élection présidentielle de 2007 (cf. Lettre Calipia n°33, Avril 2007). Avec certes des améliorations, mais qui ne sont dues qu’aux investissements effectués par les opérateurs privés (SFR, Bouygues, Free, Numericable) ou semi-privés (Orange) pour le développement de l’accès Internet haut débit, via la fibre, ADSL ou le réseau hertzien (GSM/EDGE/UMTS/LTE/etc.).

L’intention affichée de connecter en « haut débit » (au moins 8 Mbits/s) 9 000 écoles dès septembre via son plan « Ecoles Connectées » est louable (16 000 sur 54 000 n’ont actuellement pas d’accès Internet haut débit). La technologie choisie repose sur des communications satellites. L’Etat via le Fonds National pour la Société Numérique (FSN) alloue un budget de 5 millions d’euros pour couvrir l’achat du matériel de connexion (parabole, routeur Wifi, etc.) et son installation pour environ 400 euros par établissement. Et c’est bien.

Ce qui serait mieux serait que ce plan « Ecoles Connectées » soit en cohérence avec le plan France THD (Très Haut Débit) qui pour les mêmes objectifs semble donner la priorité à la fibre optique et l’utilisation du réseau électrique voire du réseau ferroviaire. Ce qui ne semble pas être le cas et on peut craindre que même dans le domaine des infrastructures, les soucis d’affichages ne l’emportent sur une cohérence cependant indispensable.

Mais de toute façon, le simple fait de considérer qu’un accès Internet haut débit pourrait être un élément essentiel à l’apprentissage du « Code à l’école » est tout simplement grotesque.

Qui a jamais eu besoin d’un accès Internet haut débit pour afficher « Hello Word » ?

Passons donc tranquillement à la vraie nouvelle trouvaille de nos politiques de gauche comme de droite (un projet de loi identique a été proposé par l’UMP), afin de sauver notre pays qui serait, vous l’aurez compris, l’enseignement du CODE à l’école.

Le « code à l’école » : quelques mots sur le contexte

Partout à travers le monde l’idée d’apprentissage du numérique à l’école semble être devenu le nouveau Graal, et en France une importante activité d’associations, d’organismes, ou syndicats professionnels a pour but assez légitime d’influencer la classe politique afin que l’enseignement du numérique soit considérée comme une grande cause nationale pour l’année 2014[1].

Probablement soumis à cette pression importante et très certainement en mal de communication concernant l’idée géniale sur les orientations futures de l’enseignement qui sera dispensé à nos enfants afin de les préparer à affronter un monde qui devient de plus en plus communiquant, notre classe politique (gouvernement PS mais aussi UMP) a été depuis mi-mai assez active en termes d’annonces.

Voici un court résumé des faits.

La chronologie, et quelques réflexions de fond

Lors de la création du gouvernement Valls, le 9 avril 2014, Axelle Lemaire a succédé à Fleur Pellerin comme secrétaire d’État chargée du Numérique. Cette dernière avait engagé une politique volontariste qui a suscité l’intérêt de la plupart des acteurs du secteur. Dans le domaine de l’éducation populaire et de la formation, elle a porté le projet des Espaces publics numériques et des Cyber-bases[2]. Pour le reste du numérique éducatif, c’était l’affaire de Vincent Peillon qui avait lancé le chantier de l’École numérique. Et même si ce dernier n’avançait pas très vite, tout allait à peu près bien…

Les choses s’emballent dés le 15 mai lors d’un « Tchat » avec les lecteurs de 20minutes lors duquel une question est posée sur le fait que l’apprentissage de la programmation informatique pourrait être (dans le programme en cours de préparation par le ministère de l’éducation nationale) intégré dans les programmes obligatoires à l’école élémentaire.

Et la réponse est assez stupéfiante :

« C’est une des clés pour que les prochaines générations maîtrisent leur environnement numérique. Apprendre la programmation, permet de dépasser la simple sensibilisation au numérique et de se rendre compte qu’on peut modifier les Smartphones qu’on utilise, qu’on peut réaliser des films, qu’on peut créer des jeux. On apprend l’anglais, le chinois, il faut apprendre à coder!

C’est une brique essentielle de la créativité, comme le collage ou le découpage… Faire du code c’est un outil au service d’un projet scientifique, artistique ou pédagogique.

Aujourd’hui ce n’est pas dans les programmes mais j’aimerais par exemple que le temps périscolaire permette ce genre d’ateliers un peu partout en France. Un collectif s’est d’ailleurs créé récemment pour cet objectif: «Code Junior». Il existe déjà des initiatives au niveau local, soutenues par des associations et des entreprises prêtes à investir. J’espère qu’elles se démultiplieront à l’échelle nationale. »

Pourquoi cette réponse est-elle stupéfiante ?

Peut-être parce qu’en quelques lignes la secrétaire d’état démontre :

  • Une incompétence inquiétante dans le domaine de l’informatique en utilisant le terme de coder (pauvre anglicisme qui serait avantageusement remplacé par programmer sauf si le but est d’apprendre l’assembleur à des enfants de moins de 10 ans), mais surtout en associant la « maitrise du code » à un acte créatif alors que l’utilisation d’un langage de programmation n’est que l’ultime, et pas forcément nécessaire (compte tenu des outils de programmation disponibles) étape d’un processus plus profond d’analyse qui requiert plus une structuration de la pensée que la maitrise d’un outil. Le parallèle avec le « collage et le découpage » est de plus assez hallucinant compte tenu des enjeux.
  • Qu’elle ne connaît pas vraiment les programmes scolaires de l’école primaire, puisqu’il ne me semble pas que le chinois soit enseigné de façon obligatoire. Et que l’enseignement de l’anglais reste malgré de nombreuses annonces assez expérimental.
  • Qu’elle n’hésite pas à semer la panique en parlant de périscolaire et des associations:
    • Elle met dans l’embarras le ministre de l’éducation, qui avant d’être remercié devait gérer une réforme, le « plan numérique pour les écoles » qui devait prendre effet en septembre, et dont le calendrier a été légèrement perturbé.
    • Elle déclare se reposer sur un tissu associatif qui est déjà très actif, mais dont l’efficacité repose justement sur le fait de ne pas avoir a se soumettre au carcan des programmes pédagogiques du ministère de l’éducation nationale. Tout parent ayant jeté un coup d’œil sur les « cours de technologie », lesquels « traitent » de l’aspect informatique en expliquant comment se servir d’une souris ou imprimer une présentation PowerPoint, sera probablement d’accord avec l’aspect castrateur de la démarche.

Avant de continuer cette chronologie, je vous re-propose cette citation. C’est clairement ma préférée, et elle m’a fait rire tout l’été (je suis bon public et la météo était maussade).

Code et Chinois

Plus sérieusement, le lendemain Le Figaro[3] saute sur l’occasion pour relayer les propos d ‘Axelle Lemaire qui tombent comme par hasard après un article le 15 mai de ZDNet[4] concernant une proposition de loi visant à rendre obligatoire l’enseignement du codage informatique à l’école, proposée par une vingtaine de députés UMP. Cette proposition portée par Laure de la Raudière (avec le soutien de quelques personnalités telles que Bruno Le Maire ou Christian Estrosi) sera enregistrée à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 11 juin[5]. Proposition assez opportuniste et relativement vague qui demande une modification du code de l’éducation très proche des demandes d’Axelle Lemaire (comme par hasard) :

« Les objectifs prioritaires assignés aux écoles sont l’apprentissage de la langue française, la maîtrise de la lecture, de l’écriture, l’utilisation des mathématiques et l’apprentissage du code informatique. Ces savoirs doivent impérativement être acquis lors de l’entrée au collège. »

Entre parenthèses à l’occasion de l’article du Figaro le langage HTML est cité (avec une amusante formule : Parlez-vous HTML ?) ce qui est consternant puisqu’HTML est un langage de description (mettre des balises sur du texte pour gérer l’affichage) et en aucun cas un langage de programmation (qui implique une certaine logique).

Le même jour (donc le 16 mai) Axelle Lemaire donne aussi une interview (elle était à l’Ecole d’informatique « 42 » de Xavier Niels) au Journal du Net[6] dans laquelle après quelques contorsions (mise en évidence de la complexité d’un projet impliquant les ministères de l’éducation nationale, le ministère des finances et le ministère du travail), elle réaffirme sa volonté d’imposer « l’apprentissage du code » à l’école primaire, dans le cadre du temps périscolaire et avec l’aide des associations ou des entreprises.

Pour la bonne bouche j’adore la conclusion de sa réponse : « Pour moi, un tel projet a plus de chance de s’imposer en partant ainsi de la base, en bottom-up, qu’en top-down. ». Parler anglo/américain (même pour une Franco/Canadienne) dans une communication sur l’éducation est assez surprenant. Mais expliquer dans la même interview vouloir partir de la base (le réseau d’associations déjà très actif sur le sujet comme nous allons le voir plus loin) en communiquant activement sur une volonté d’imposer cet enseignement dans le cadre semi-formel du périscolaire (ce qui ressemble furieusement à du « top-down »), ce n’est plus surprenant, c’est juste déroutant.

Reprenons le fil de notre chronologie, avec semble-t-il, dans les jours qui ont suivi, quelques tensions entre les cabinets respectifs d’Axelle Lemaire et de Benoît Hamon, ministre de l’Éducation. Ce dernier se serait étonné des initiatives médiatiques malheureuses de sa consœur venant influer sur son projet d’école numérique, qui devait intégrer globalement cet aspect du numérique dans l’éducation en se basant sur l’avis de l’Académie des Sciences rendu début mai (L’enseignement de l’informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre)[7].

Cet avis, très intéressant par ailleurs et formulant des propositions pertinentes concernant l’introduction de l’informatique de façon progressive dans les programmes (primaire, collège, Lycée) est effectivement une base de réflexion sérieuse, malheureusement a été totalement passée sous silence du fait de l’agitation médiatique liée aux incantations ridicules d’Axelle Lemaire (le code, le code, le code, et dès la primaire !!!).

Le 23 juin Axelle Lemaire dans une interview à NextInpact[8] revient sur son initiative avec une certaine mauvaise foi quant à sa position par rapport au projet de loi de l’UMP déposé par Laure de la Raudière en feignant de ne pas en avoir été informée (ce qui est au mieux peu crédible, au pire assez inquiétant), tout en affirmant que « Benoit Hamon est très réceptif à ces sujets ». Et pour cause puisque qu’une initiation aux concepts de l’informatique à l’école primaire fait partie des recommandations de l’Académie des Sciences.

Ce triste théâtre d’ombres sera conclu par Benoit Hamon qui le 12 juillet a cédé à la pression en reprenant à son compte l’idée absurde et vague de « favoriser en primaire une initiation au code informatique » lors d’une interview au Journal du Dimanche[9]. Ce faisant le futur ex ministre de l’éducation a cédé aux manœuvres de communication de sa collègue et de l’UMP, sans tenir compte des suggestions de l’Académie des Sciences, certes compliquées à mettre œuvre, mais qu’il aurait été judicieux défendre.

De là à conclure que le jeu politique n’est pas forcément garant de propositions avisées pour le bien commun, il n’y a qu’un pas à franchir. Surtout lorsqu’ils ne connaissent rien aux sujets sur lesquels ils doivent prendre des décisions. Inculture d’autant plus sournoise et inquiétante qu’elle touche des personnes censées être cultivées, faisant preuve de discernement et soucieuses du bien public.

Enfin je ne résiste pas, toujours pour conclure cette chronologie au plaisir de vous rappeler un extrait d’un billet de Mediapart[10] qui met très précisément le doigt sur le problème :

« Cette proposition montre bien l’incompréhension des politiques par rapport à la vague numérique qui les dépasse. Oui, le numérique associé à Internet va transfigurer tous les domaines de la société, l’école y compris. Les sociétés vont subir le numérique et leurs dirigeants font mine d’anticiper ces fortes transformations en introduisant l’apprentissage du code informatique. »

Quid du réseau associatif et des « groupes d’influence » ?

L’idée de sensibiliser nos enfants aux différents aspects de l’informatique est parfaitement louable puisque ces technologies sont sans contestation possible un élément prégnant de notre vie de tous les jours et une opportunité de développement de l’activité économique.

Et le bon sens étant assez largement partagé, tant en France qu’à l’étranger, nombreux sont ceux qui promeuvent officiellement l’enseignement de l’informatique à l’école : l’Académie des Sciences déjà citée, mais aussi la Société informatique de France avec son rapport de juin 2013 (Rapport de la SIF sur la Formation des Enseignants d’ISN[11]) ainsi que sa lettre ouverte au Président[12], la FING[13] (Fondation Internet Nouvelle Génération), et le syndicat Syntec Numérique avec son rapport remis en janvier 2014 au Président de la République (Propositions pour un plan national de formation[14]).

Ces rapports et communications institutionnels sont inspirés de nombreuses initiatives, tant nationales qu’internationales, telles que Code.org[15], le réseau Hackidemia[16], Code for America[17], mais également son équivalent européen, Code for Europe[18] (et leur équivalent Français[19] qui est manifestement encore en gestation).

Citons aussi de nombreuses réalisations concrètes d’enseignement qui vont de l’école d’immersion au code (« 42 »[20]) lancée par Xavier Niels, à la Web@cadémie[21], au site « Le Wagon[22] », jusqu’à des ateliers organisés généralement autours de FabLabs tels que « les petits débrouillards », les « Coding goûters », « Educadinio » ou « Simplon.co ».

L’offre associative est donc déjà très importante, plutôt innovante, assurée par des personnes volontaires et compétentes, et elle vise principalement les jeunes en situation de décrochage scolaire.

La programmation informatique serait-elle l’ultime solution d’intégration dans la société de jeunes gens auxquels le système éducatif n’a pas réussi à inculquer la nécessité de PENSER, alors que toute réflexion est inutile pour retranscrire dans un langage informatique des spécifications détaillées d’un programme crées dans le cadre d’un processus de réflexion logique ?

Ces questions sont importantes. Enfin il me semble. Mais d’autres questions se posent, malheureusement…

Quelques autres réflexions et questions concernant la mise en œuvre du « code à l’école » ?

Le problème est-il simple (et la solution simpliste) ?

Si le fait de sensibiliser les enfants (de l’école primaire au lycée) est sans aucun doute un point important, et si cette sensibilisation ne doit pas être uniquement portée par le réseau associatif mais prise en charge dans le cadre des programmes de l’Education Nationale, l’approche préconisée par l’Académie des Sciences, avec une progression en trois phases semble assez pertinente. Phases dont voici le résumé :

  1. La sensibilisation, principalement au primaire, qui peut se faire de façon complémentaire en utilisant des ordinateurs ou de façon « débranchée » ; un matériau didactique abondant et de qualité est d’ores et déjà disponible.
  2. L’acquisition de l’autonomie, qui doit commencer au collège et approfondir la structuration de données et l’algorithmique. Une initiation à la programmation est un point de passage obligé d’activités créatrices, et donc d’autonomie.
  3. Le perfectionnement, qui doit se faire principalement au lycée, avec un approfondissement accru des notions de base et des expérimentations les plus variées possibles.

De plus est mis en avant dans ce rapport l’importance de la formation des enseignants, ce qui semble effectivement plus que nécessaire avant l’introduction de mesures qui vont potentiellement concerner plus de 12 millions d’élèves (dont 6,7 million dans le primaire où doit être « enseigné le code »), d’après les chiffres du ministère[23].

Code et educ

On voit donc que ce projet d’apprentissage de l’informatique à l’école, quoique nécessaire n’est pas simple, et il me semble que la communication de nos élites politiques, avec une focalisation sur le « code à l’école primaire » entraine de forts risque de dérapages (habituels dans les politiques gouvernementales depuis plus de 20 ans), dérapages qui consistent à un affichage de façade privilégiant des plans d’investissement couteux de matériels peu ou mal utilisés au détriment d’une réflexion de fond sur la pédagogie et l’humain.

 

Le « plan numérique pour l’école » sera-t-il un nouveau tonneau des danaïdes (rappel historique) ?

La forme risque donc d’être privilégiée, et si vous êtes sceptiques, ce qui serait assez naturel, laissez moi vous rappeler les dernières grandes initiatives concernant le numérique (ou les TICE, TIC, STIC, etc. dans le jargon administratif) qui ont couté des milliards sans résultats probants.

L’informatisation de la société, rapport remis par Alain Minc et Simon Nora à Valéry Giscard d’Estaing, en 1976, qui fut en son temps un vrai succès d’édition, fut le premier exemple de la médiatisation du numérique. Avec une dimension politique importante puisque les auteurs voyaient dans l’informatisation de la société un moyen souhaitable pour augmenter la productivité générale (travailler moins pour vivre mieux) et rendre caduque la grille d’analyse marxiste du conflit de classes.

Vient ensuite le plan informatique pour tous (IPT)[24] . Ce fut le premier grand programme gouvernemental français à bénéficier d’une certaine médiatisation. Il devait permettre d’initier les 11 millions d’élèves du pays à l’outil informatique et de soutenir l’industrie nationale. Il faisait suite à plusieurs programmes d’introduction de l’informatique dans le secondaire depuis 1971. Le plan IPT a été présenté à la presse, le vendredi 25 janvier 1985, par Laurent Fabius, Premier ministre de l’époque. Il visait à mettre en place, dès la rentrée de septembre, plus de 120 000 machines dans
50 000 établissements scolaires tout en assurant la formation, à la même échéance de 110 000 enseignants. Son coût était évalué à 1,8 milliard de francs, dont 1,5 milliard pour le matériel : Donc 300 millions pour la formation des enseignants ce qui est absolument ridicule !

Ce plan a simplement permis à Bull, Thomson, ou Goupil de faire de très bonnes affaires en vendant des PC plus ou moins technologiquement dépassés (particulièrement les Thomson MO5). Et accessoirement à conforter l’état sur le fait que la France avec le Minitel était à la pointe de la technologie (ce qui avais probablement été vrai) et portait une vision qui pourrait influencer le monde (ce qui était faux).

Après quelques années de calme, une seconde grande initiative numérique a été lancée en 2003 par François Fillon, ministre de l’Education nationale, afin que chaque étudiant puisse acheter un ordinateur « pour le prix d’un café par jour ». L’éducation nationale devait consacrer en quatre ans 209 millions d’euros au développement du numérique à usage pédagogique dans l’enseignement supérieur. Concrètement, les étudiants ont pu bénéficier de prêts à « des taux intéressants » de 1 000 à 3 000 euros remboursables en trois ans.

Donc encore une fois la principale (parce qu’étant la plus visible) réponse des politiques concernant l’évolution de notre société liée à la prégnance des technologies numériques à consisté en des effets d’annonce concernant des plans d’équipement, comme si garantir que tout le monde possède un ordinateur (afin de réduire la fameuse « fracture numérique ») pourrait être l’unique facilitateur d’une sensibilisation des élèves aux subtilités des métiers de l’informatique !

Impossible concernant ce point de ne pas évoquer les nombreuses initiatives très médiatisées et moyennement efficaces d’équipement massif des élèves, pilotées par les conseils généraux ou régionaux afin de fournir des clés USB ou des tablettes (programmes qui coûtent très cher et sont rapidement détournés de l’objectif pédagogique premier par les étudiants récipiendaires). En espérant que les présidents de région ou de département ont réussi à se faire réélire par ce biais…

Depuis plus de trente ans toutes ces initiatives coûteuses (et légitimes) d’équipement des écoles, collèges et lycées semble de plus assez inefficaces puisque le nombre d’ordinateur par élève reste très faible dans le secondaire et que dans le primaire le système D est de mise (recyclage d’anciens ordinateurs de parents d’élèves).

Dans les années 60, il y avait moins de médiatisation et plus d’efficacité. Objectivement tous ces « plans », initiatives et annonces n’ont rien a voir en termes de résultats avec le « Plan Calcul » lancé (discrètement) au début des années 60 et qui a placé la France en termes d’enseignement (avec dès 1966 des cursus informatiques dans le supérieur) et de développements technologiques dans une dynamique incroyable pour les infrastructures et la créativité (souvenez-vous que le premier ordinateur personnel est Français, et que Bull ou Thomson furent de sérieux concurrent de la naissante industrie informatique américaine avant de succomber aux sirènes des « contrats d’état »).

 

Est-il donc plus simple de privilégier l’accessoire à l’essentiel ?

Très probablement en ce qui concerne l’éducation et le numérique… (la question était purement rhétorique).

Du fait d’une inquiétante méconnaissance de notre classe politique du concept même de société numérique (les choses évoluent heureusement depuis Jacques Chirac et son « mulot »), il semble qu’il soit plus simple et médiatiquement rentable d’annoncer que l’on va dépenser de l’argent en équipements divers que de réellement investir sur des politiques à long terme permettant de préparer les générations futures avec des programmes éducatifs transversaux : Les cours de mathématiques, de physique, de langues, de Français, etc. pourraient bénéficier de l’outil informatique ce qui les rendraient probablement plus intéressants pour les élèves.

Mais il faudrait avoir le courage de toucher au « Saint des Saints » de l’Education Nationale, les différentes directions en charge de la pédagogie et des programmes, et la tâche n’est pas facile. D’autant que l’espérance de vie d’un ministre de l’éducation est très limitée[25] (moins de deux ans en moyenne, et encore moins si vous essayez de faire évoluer les institutions – ou que vous allez à Frangy-en-Bresse comme dans le cas le cas de Benoit Hamon).

Donc pour durer, ne rien remettre en cause de fondamental dans le fonctionnement de ce ministère est plutôt un bon plan de carrière pour un ministre.

On fait donc des annonces ou des expériences qui seront sans suites avant des années comme le « Code à l’école » qui fait l’objet de ce billet d’humeur, mais aussi « la morale à l’école », l’enseignement des « langues étrangères », l’enseignement du permis voiture, etc.

Le « Numérique » est important pour notre société et donc pour l’éducation de nos enfants, et il est triste qu’il soit trop souvent ramené à des effets d’annonces par des politiques semblant année après année découvrir le phénomène.

 

En guise de conclusion

Cette polémique printanière (et estivale) est une assez belle illustration de l’exercice compliqué de la communication politique. Avec des formules chocs qui masquent un débat de fond, en l’occurrence l’apprentissage des techniques informatiques aux enfants, du primaire au secondaire. Formules lancées sans concertation avec les acteurs associatifs ou professionnels qui œuvrent depuis des années dans ce domaine, et manifestement sans concertation non plus avec le ministère de l’éducation qui devrait dans ce domaine sinon piloter, mais au moins être tenu au courant des autres initiatives gouvernementales.

La proposition du « Code à l’école » est de plus au niveau de son contenu assez représentative de tout ce qu’il ne faut pas faire :

  • Parler de ce que l’on ne connaît pas (c’est à notre classe politique qu’il faudrait imposer un enseignement aux technologies numériques).
  • Ne pas réfléchir aux impacts de fond (Les balises HTML c’est bien, mais n’est-il pas plus important d’apprendre en primaire à lire, écrire, compter … PENSER ?).
  • Négliger la mise en œuvre concrète en se déchargeant du fardeau sur les associations et les communes (bon courage pour trouver les « animateurs » qui enseigneront à nos chers enfants l’informatique dans le cadre du temps périscolaire !).

C’est donc sans surprise que lors d’une visite dans un collège de Seine Saint Denis, le Président François Hollande à totalement passé sous silence le « Code à l’école » dans son discours[26] précisant les contours du « plan numérique à l’école ». En fait l’effort principal devrait porter sur … l’achat de tablettes comme support du contenu pédagogique !

Voilà qui rappelle étrangement le « plan informatique pour tous » d’il y a 20 ans, avec du contenu en plus !!!

[1] Cf. http://www.educnum2014.fr/

[2] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Espace_public_num%C3%A9rique

[3] Cf. http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2014/05/15/25002-20140515ARTFIG00333-axelle-lemaire-veut-que-les-enfants-apprennent-a-coder.php

[4] Cf. http://www.zdnet.fr/actualites/developpement-numerique-le-rapport-erhel-la-raudiere-veut-faire-sauter-les-digues-39801137.htm

[5] Cf. http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion2022.asp

[6] Cf. http://www.journaldunet.com/solutions/emploi-rh/axelle-lemaire-interview-axelle-lemaire.shtml

[7] Cf. http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/rads_0513.pdf

[8] Cf. http://www.nextinpact.com/dossier/735-interview-d%E2%80%99axelle-lemaire-secretaire-d%E2%80%99etat-au-numerique/2.htm

[9] Cf. http://www.lejdd.fr/Societe/Education/Benoit-Hamon-Le-code-informatique-a-l-ecole-des-septembre-675833

[10] Cf. http://blogs.mediapart.fr/blog/sergeescale/180614/apprendre-le-code-informatique-des-l-ecole-primaire-pas-indispensable

[11] Cf. http://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2014/01/rapport_sif_sur_isn.pdf

[12] Cf. http://www.societe-informatique-de-france.fr/lettre-ouverte-a-monsieur-francois-hollande-president-de-la-republique-concernant-lenseignement-de-linformatique/lettre-ouverte-a-monsieur-francois-hollande-president-de-la-republique-concernant-lenseignement-de-linformatique-2/

[13] Cf. http://www.fing.org

[14] Cf. http://syntec-numerique.fr/sites/default/files/related_docs/propositions_planformation_syntec_numerique_2014.pdf

[15] Cf. http://code.org/

[16] http://www.hackidemia.com/

[17] http://www.codeforamerica.org/

[18] Cf. http://codeforeurope.net/

[19] Cf. http://www.codeforfrance.org/

[20] Cf. http://www.42.fr/

[21] Cf. http://webacademie.org/

[22] Cf. http://www.lewagon.org/

[23] Cf. http://www.education.gouv.fr/cid195/les-chiffres-cles.html

[24] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_informatique_pour_tous

[25] Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_ministres_fran%C3%A7ais_de_l%27%C3%89ducation_nationale

[26] Cf. http://www.elysee.fr/chronologie/#e7253,2014-09-02,inauguration-du-nouveau-college-louise-michel-de-clichy-sous-bois-rentree-2