Facebook, Twitter, Google YouTube : les patrons des 3 géants n’assument pas leur Business Model

Convoqués comme témoins hier devant une commission parlementaire américaine intitulée « Disinformation Nation: Social Media’s Role In Promoting Extremism And Misinformation« , Mark Zuckerberg (Facebook), Jack Dorsey (Twitter) et Sundar Pinchai (YouTube) ont tous refusé d’admettre que ce qui constitue le coeur de leur Business Model, l’engagement des utilisateurs, était un des principaux ressorts de la montée de la désinformation, de l’extrémisme et de la fragmentation de l’opinion en communautés imperméables à autrui et à la réalité.
Cette notion d’engagement n’est pas nouvelle. Patrick Le Lay, alors PDG de TF1 (Groupe Bouygues), avait en 2004 fait connaitre ce concept avec une expression choc : le temps de cerveau… Pour les plateformes d’aujourd’hui, le principe s’il est le même, s’est considérablement structuré mais peut se résumer en 3 points :
- s’assurer de maintenir l’utilisateur le plus longtemps sur la plateforme
- l’amener à partager le plus possible (et de plus en plus) d’informations personnelles
- accroitre le chiffre d’affaire généré par l’exposition de l’utilisateur à des publicités ciblées.
A la différence de TF1, les grands réseaux numériques possèdent aujourd’hui les moyens de cibler de manière très fine leurs utilisateurs, à partir de la masse de données collectées et de l’exploitation de ces données grâce à des technologies de pointe, en particulier l’IA. Cette capacité à recommander du contenu micro-ciblé, alignée avec les attentes et les opinions des utilisateurs crée chez certains d’entre eux un effet d’addiction, proche de celui procuré par le tabac ou la drogue, et d’enfermement dans leurs réalités alternatives au sein des communautés auxquelles ils appartiennent.
Selon un article du New-York Times revenant sur l’audition, les parlementaires américains n’ont pas réussi à obtenir de la part des 3 dirigeants interrogés de reconnaissance de ces pratiques. Pour Jim Dorsey, Sundar Pichai ou Mark Zuckerberg, l’accroissement de l’engagement n’est pas un objectif essentiel de leur Business Model, c’est au contraire une conséquence de l’intérêt porté à leurs services par les utilisateurs. On est quasiment dans une dialectique de jésuite ! Où est la poule, où est l’oeuf ?
Pourtant si l’on en croit le dernier rapport annuel de Facebook, il est écrit en clair que l’entreprise propose des produits « engaging » :
We build useful and engaging products that enable people to connect and share with friends and family through mobile devices, personal computers, virtual reality headsets, and in-home devices
Annual report Facebook 2020 – page 7
Par ailleurs, dans sa note A Blueprint for Content Governance and Enforcement, Mark Zuckerberg revient sur la capacité des réseaux sociaux à accroitre l’engagement des utilisateurs, avec du contenu « interdit », comme indiqué sur le schéma utilisé dans cette note.

Face à ce constat, comment résister à la tentation de toujours décaler vers la droite la limite de ce qui devient interdit, accroissant ainsi le niveau d’engagement des utilisateurs concernés ? C’est tout l’enjeu pour les autorités de régulation qui vont devoir mettre en place des moyens de contrôler le positionnement du curseur et la capacité des plateformes à effectivement appliquer les règles définies. Car comme le mentionnait un des parlementaires présents, Anna Eshoo, démocrate de Californie, « les entreprises sont là pour faire de l’argent, nous le comprenons tous. Mais votre modèle a un coût pour la société.” 2021 sera t’elle l’année pour commencer à rendre les plateformes comptables de ce coût ?